Monsieur le Président, je vous écris une lettre

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Monsieur le Président, je vous écris une lettre

Un coup de colère resté sans réponse constructive …

En juillet 2022, les faits divers se multiplient autour de la petite enfance.

Interpelée, j’écris cette lettre à Monsieur le Président de la République Française , envoyée en parallèle, à une quinzaine de représentants politiques.

Aujourd’hui, seuls 4 d’entre eux m’ont fait une réponse de complaisance. Partager ce courrier me semble important car nous sommes nombreux à espérer que les choses changent et qu’il est urgent de redonner du sens à l’accompagnement des personnes vulnérables.



Monsieur le Président de la République,

Mesdames, Messieurs les Ministres,

Mesdames, Messieurs les Députés,



Voici plus de 30 ans que j’accompagne et forme les professionnels de la petite enfance sur tout le territoire français et au-delà de nos frontières.

Garder le silence me semble impossible tant la situation est grave, ce serait rendre banal et sans importance ces métiers laissés si souvent dans l’oubli du secteur social.

Les réformes engagées aujourd’hui, pour les structures d’accueil de la Petite Enfance, ont pour objectif de normaliser, évaluer, certifier des pratiques professionnelles à bout de souffle dans des institutions décalées des besoins fondamentaux des enfants.

Monsieur le Président de la République, Mesdames, Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs les Députés, comment pouvons-nous encore aujourd’hui concevoir des lieux dits d’accueil de la petite enfance, dans lesquels 20, parfois 30 enfants de moins de 3 ans sont accueillis dans une même salle des journées entières ?

Comment penser qu’une formation de quelques mois suffirait pour devenir professionnel et garantir les savoirs faire à la hauteur de leurs responsabilités ?

Comment 2 heures d’analyse de pratiques professionnelles par an, par professionnel, pourraient suffire à se questionner et adapter ses postures ? … Ce projet apparaît indécent compte tenu des difficultés quotidiennes que chaque professionnel rencontre.

Il ne suffit pas d’aimer les enfants pour s’engager dans les métiers de la petite enfance. Chaque enfant, chaque famille, souvent issues de cultures très variées, ce qui rajoute en complexité, a besoin de ces relais de professionnels pour que les très jeunes enfants (certains seront accueillis à partir de dix semaines) puissent construire leur propre sécurité affective qui sera la clé de leur autonomie future. Et le champ de la petite enfance n’est pas le seul à être impacté.

Nous sommes aujourd’hui dans des rencontres de vulnérabilités où les douces violences surviennent en réponse au quotidien.

Les parents, leurs enfants, les professionnels se retrouvent coincés dans des institutions inscrites dans des projets politiques aux modèles qui ne fonctionnent plus et qui ouvrent la voie aux douces violences et aux violences institutionnelles que je dénonce dans de nombreux écrits.

Qu’avez-vous fait de ce que les chercheurs, les pédagogues, les psychologues, les professionnels de terrain analysent, théorisent, rapportent depuis des dizaines d’années ?

Lorsque les Neuroscientifiques, les spécialistes en psychologie comportementale insistent sur la dangerosité du Cortisol, hormone du stress, pour le cerveau de l’enfant, lorsque l’analyse des douces violences révèlent plus de quatre-vingt situations de douces violences possibles au quotidien dans les structures petite enfance, qu’attendez-vous pour changer ce modèle institutionnel qui ne fonctionne pas, pire, qui met en danger les enfants de la République ?

Les organisations d’accueil, qu’elles soient dédiées à la petite enfance, aux personnes âgées, comme les EHPAD, aux malades, comme les hôpitaux, ou aux handicapées ne peuvent fonctionner avec les mêmes outils de gestion que les entreprises qui vendent des biens et services. Les cas de maltraitances rapportées ne peuvent que s’aggraver et sont la partie émergée de l’iceberg.

L’actualité nous montre aujourd’hui combien il est urgent de faire autrement.

Monsieur le Président de la République, Mesdames, Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs les Députés, ce sont aujourd’hui tous ces lieux, dits de Vie, accueillant ces tout-petits jusqu’aux plus âgés en situation de vulnérabilité qui sont en danger. Certes, ils sont accompagnés par des professionnels volontaires et ambitieux, mais à bout de force.

Votre politique est une politique de performance, normative bien loin de ce que tout être humain, en situation de vulnérabilité, a véritablement besoin pour pouvoir s’ancrer dans une sécurité affective solide et bien réelle.

Aujourd’hui les douces violences envahissent les pratiques professionnelles par souci d’efficacité, de rapidité, de manque de personnel ou de manque de formation.

Les réformes engagées sont un croche-pied à la Bien-traitance à laquelle chaque professionnel aspire pourtant.

Les équipes se retrouvent dans des contraintes ne correspondant plus à leurs valeurs. Le stress est très palpable et les retombées sont très visibles.

Faut-il attendre un nouveau scandale, un affreux fait divers pour se mettre à penser autrement et réfléchir enfin sur ce concept de douces violences ?

Cette lettre est le témoignage d’une professionnelle engagée depuis plus de 30 ans à dénoncer les douces violences et leurs conséquences dans toutes les situations de vulnérabilité.

Mon indignation est grande… Depuis longtemps, mais mon espoir est immense.

Puis-je croire en une réelle prise de conscience de votre part, pour que les scandales ne se succèdent plus et que notre Nation soit à la hauteur de notre responsabilité à tous vis-à-vis de nos enfants, de nos ainés et de toute personne vulnérable ?

Pourrais-je un jour vous présenter mon travail sur les douces violences, sur leurs impacts actuels et futurs ?

Je vous remercie infiniment pour l’attention que vous porterez à cette lettre et vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, Mesdames, Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs les Députés en l’expression de mes salutations respectueuses.

Christine Schuhl

 

 

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