Mieux comprendre les douces violences

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Mieux comprendre les douces violences

À force de tout voir on finit par tout supporter…
À force de tout supporter on finit par tout tolérer…
À force de tout tolérer on finit par tout accepter…..
À force de tout accepter on finit par tout approuver !”

Saint Augustin

 « À force » dit Saint Augustin…

Quelle est cette force ? Une banalisation de ce qui ne devrait pas l’être… Une baisse de notre seuil de tolérance… Une résignation faute de « contre force »…Ou bien encore un abandon de notre esprit critique pour finir par ne plus se poser de questions ?

Saint Augustin (354 – 430), posait déjà cet étrange mouvement, cet enchaînement d’actions : voir…Supporter… Tolérer…accepter…Approuver.

Ces verbes d’action basculent vers des niveaux différents de résignation, allant crescendo vers une adhésion. Accepter. Entrainant une approbation « comme par évidence ».

C’est bien dans cette cascade de résignations que les douces violences trouvent leur place. Elles sont le remède immédiat pour répondre à une attente et obtenir rapidement ce que l’on souhaite… C’est faire à la place de l’enfant ou de la personne âgée pour ne pas « perdre de temps », c’est juger sans savoir, c’est poser une étiquette sur cet enfant, ces familles pour pouvoir les inscrire dans une catégorie, un mode de représentations, figé et stéréotypé.

Des douces violences nombreuses et insidieuses

Dissimulées au cœur de notre quotidien, de nos habitudes, cachées derrière le « on a toujours fait comme ça  », les douces violences sont multiples, nichées au cœur d’un quotidien, à première vue ordinaire. De très courte durée, elles contraignent, imposent, stigmatisent…  

Une fois repérées, elles peuvent cependant sembler sans grande importance, sans gravité. Issues de notre patrimoine éducatif, elles nous replacent dans un rapport dominant dominé longtemps décrit comme la clé de la réussite en matière d’apprentissage et d’accompagnement.

 

Les douces violences, une autorité spontanée

Elles permettent d’obtenir instantanément ce que l’on attend, sans négociations  de cet enfant, de cet adolescent, de cette personne âgée…

Différentes d’un acte de violence où la brutalité donne le ton, elles peuvent être presque invisibles, par leur vélocité. Ce sont ces paroles, ces gestes, ces regards blessant de quelques secondes aussitôt relayés par des postures adaptées et respectueuses. Ainsi, celui qui les rencontre, en les faisant ou en les subissant, peut ne pas en comprendre leur portée.  Celui qui les subit est dans une « sidération flash » qu’il ne peut que subir la situation sans avoir, dans ce court instant, la possibilité de comprendre que cette douce violence n’est pas un acte adapté. Pour celui qui les fait, le résultat obtenu prend le temps de quelques secondes, le dessus sur l’importance des postures et de sa présence à l’autre.

Cependant, bien plus que ces multiples postures éphémères, les douces violences sont bien plus complexes qu’il n’y parait…

Une curieuse alchimie

Elles sont en effet, le résultat d’une curieuse alchimie entre des contextes sociétaux, environnementaux, des moyens financiers et humains, des histoires d’hommes, de femmes et d’enfants à un instant-T.

Une situation définie comme une douce violence n’est que le résultat visible d’une  combinaison d’éléments composants notre vie d’humain à ce point de rencontre où l’impatience, le désir de contrôle, et la supériorité prennent le dessus. Elles ne s’inscrivent pas dans une intention de faire du mal à l’autre, mais bien dans ce désir d’obtenir rapidement un résultat, parce que les rythmes et des exigences irraisonnés aspirent le bon sens.

Une différence avec des situations de maltraitances

Sans vouloir faire du mal à l’autre, bien au contraire, les douces violences donnent cette fausse impression d’une efficacité bienveillante qui n’oublie rien des obligations, ni du devoir exigé …Et « tant pis » pour les manières de faire ! Elles sont rapides, efficaces, … « Ce n’est pas grave ! » dira cette professionnelle de la petite enfance tentant de calmer ce petit groupe de 5 petits de 18 mois, pour pouvoir lire une histoire sereinement , « Et puis on ne peut pas faire autrement et on a toujours fait comme ça ! » répondra cette aide-soignante dans cet EHPAD devant l’organisation de ces 20 résidants lors des repas donnés à la chaine…

Ces réponses plaquées comme une résignation difficilement contournable, ne sont pas le simple fait d’hommes et de femmes, parents, professionnels, citoyens à part entière qui se laisseraient dériver vers des douces violences par facilité  ou négligences. Lorsque les douces violences sont repérées, comprises tant dans leur puissance que dans leur répercussions sur cet autre dépendant de leur compétences, les visages se figent, et les raisons de ces douces violences se démêlent peu à peu…

Les douces violences viennent en réponse à une véritable vulnérabilité. Une fragilité entrainée par les contextes, les moyens, les rencontres, sa propre histoire, ses propres résistances, ses propres limites… Il serait bien réducteur de considérer les douces violences dans des actes définis, repérés, sortis de leur contexte et de leur histoire. Les douces violences ne s’excusent pas mais elles s’expliquent, s’apprivoisent pour mieux les transformer en actes respectueux.

Bien cachées, mais toujours là…

Cachées derrière ce bouclier de mots bien-pensants, comme le Respect, la Bien-traitance, la Dignité, l’Humanitude, la Confiance, les douces violences fissurent à petits pas l’idéal collectif au cœur des principes de réalité familiaux, sociétaux, institutionnels parfois compliqués.

Chacun souhaite le meilleur pour son prochain, mais empêché par de multiples facteurs, la douce violence devient cette réponse qui n’autorise pas d’états d’âmes au moment où ce geste, cette parole, ce regard se posent. Elle  est un point de non-retour, comme si physiquement, psychiquement une limite était atteinte ; Elle viendrait comme pour soulager cette demande, ce résultat, cette action demandée avec conviction et qui ne vient pas.

Des raisons multi factorielles

Leurs origines nous l’avons vu sont multiples et enchevêtrées les unes et les autres entre contexte, moyens et personne. Elles concernent tous les domaines dans lesquels une personne est dépendante d’une autre comme le petit enfant dépendant de l’adulte, le malade dépendant du soignant, l’apprenant dépendant du sachant… Dans les champs de l’éducation, de la famille, de la santé, de la politique et bien d’autres encore, les douces violences sont là,  « à portée d’attitude ». Ce sont des assemblages de circonstances qui stoppent l’attente, posent une action, une impression sans rien attendre en retour. Les douces violences sont l’expression d’une auto satisfaction d’avoir fait ou dit spontanément quelque chose qui donne l’impression d’y être parvenu sans détours, pour une fois … Peut-être.

Remédier aux douces violences, un état d’esprit

Les causes des douces violences sont, nous l’avons vu, multifactorielles. Les différentes failles comme les manques, les erreurs d’appréciations, les choix peut-être restrictifs sont autant d’éléments déclencheurs de douces violences. Y remédier exige de se placer sur un autre champ bien plus précis, bien plus « micro ».

En effet, si les causes sont circonstancielles, politico-sociétales, humaines et organisationnelles…. Il n’en reste pas moins que les douces violences s’expriment à travers des actes définis comme une petite cuillère trop remplie pour cette personne âgée qui a du mal à manger, cette étiquette collée sur cet adolescent que l’on juge à travers les bêtises de ses sœurs, cette couche de ce bébé que l’on va renifler, ou bien encore ce soupir et ces yeux qui se lèvent au ciel sans chercher à comprendre…

C’est bien au niveau de notre regard que nous posons sur l’autre que nous devrions prendre en compte, sans artifice ni interprétation de ce que nous pouvons lui donner, selon ses possibles et ses impossibles, sans jugement ni contraintes. C’est cette disponibilité sincère et entière qui permet cet engagement authentique, à l’origine d’une véritable rencontre.

À partir de cela, les tonalités changent. En toute conscience, les gestes, les mots se pensent…

La rencontre tisse alors les liens d’une histoire sincère et originale, fiable et sécurisante, aussi courte ou longue soit elle.

Ainsi, remédier aux douces violences est un état d’esprit pour devenir une évidence. Il faut en revanche être très persévérant et obstiné, mais quoi de plus vivant que d’affirmer ses convictions surtout pour donner un sens profond à une bienveillance toujours possible !

 

                                                                  Christine Schuhl Mars 2021

 

 

 

2 Comments

  1. Favretti dit :

    Bonjour,
    Je suis éducatrice de jeunes enfants et je rencontre des difficultés dans mon équipe. La douce violence est là et malgré mes explications ,l’ importance de modifier notre comportement, l’ équipe ne changent pas.
    Demain je suis convoqué par ma directrice car j’ ai aidé un enfant de 2 ans qui n’ arrivait a mettre ses choses. En fait une collègue lui demandait de faire l’ effort de les chausser . Il n’ y arrivait car des chaussons a enfilersabs scratch. Je suis rentrée dans la salle de change et il m’ a demandé mon aide et ce que j’ai fais. Ma collègue s’est énervé et me reproche d’ être trop a leurs écoute et de casser derrière elle leurs actions..
    Je suis dans un tel état sur j’ envisage une reconversion.. mais pour moi c’est une douce violence d’ exiger de mettre des s chaussons surtout si l’ enfant demande de l’ aide. Comment faire prendre conscience à l’ équipe l’ importance de la bienveillance, su’ ils ont le temps ?
    Comment je peux me défendre demain, comment défendre les enfants ? Leur bien être et leur sécurité affective ?
    En vous remerciant
    Céline

  2. perez dit :

    Chère Chrisitne Schuhl bonjour,
    Cher Collègue, bonjour,

    J’espère que ce courriel vous trouve en pleine santé. Je me rapproche de vous en raison de nos proximités de recherche, notamment en lien avec les douces violences, les micro-violences.

    Avec quelques-uns de mes collègues à l’université de Lorraine, nous structurons ce champ à la fois en recherche et en formation. Cette année, dans le cadre du parcours MEEF M2, parcours “Éducation et pratiques inclusives”, nos dix étudiants du parcours EPI ont produit une recherche sur la thématique des micro-violences au sein de l’INSPÉ, auprès d’étudiants du Master 1 et 2 se destinant aux métiers du professorat. Ils en rendront compte le 18 juin en matinée.

    Je me dis que ce serait une bonne idée de vous inviter. Nous pourrions envisager votre présence via TEAMS.

    L’enjeu serait de faire connaissance, de partager nos connaissances, et pourquoi pas, d’évaluer les possibilités de travailler ensemble. Enfin, et non des moindres, l’enjeu est aussi de motiver nos étudiants qui sont dans ce parcours, en général des enseignants en reprise d’études, et dont le mémoire de recherche est souvent en lien avec cette thématique.

    Qu’en pensez-vous ? Seriez-vous intéressée ?
    Je demeure disponible.


    Jean-Michel Perez
    Professeur des Universités
    Site
    https://inspe.univ-lorraine.fr/master-meef-master-meef-pratiques-et-ingenierie-de-la-formation/education-et-pratiques-inclusives
    06 98547240

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