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L’importance des mots… Sans jeu de mot

Mots

Faut-il jouer avec les mots comme le préconise Boris Vian
ou au contraire les méditer avant tout énoncé comme le conseille Jean-Paul Sartre ?

                

Chaque domaine professionnel, chaque métier possède son propre vocabulaire.  Une sorte de référentiel composé d’un ensemble de mots utilisés comme par évidence par les professionnels. Un « jargon » inscrit dans une pensée collective et spécialisée, que l’on n’explique pas forcément, mais que nous pourrons retrouver systématiquement dans les projets institutionnels, politiques, éducatifs, pédagogiques ou professionnels.

Les mots autour de la petite enfance ne manquent pas. L’accueil, l’adaptation, la familiarisation, les rituels, l’éveil, les transmissions, les changes, le rythme, les jeux, le sommeil, l’alimentation, le respect…  Représentent un échantillon de ce langage professionnel, reflet des préoccupations quotidiennes.

Ces mots sont connus, reconnus, définis à travers des organisations, des protocoles, des évaluations, ou même des représentations comptables Ils sont écrits, discutés en réunion, construits au cœur des formations, réactualisés selon les décrets, telle une sorte de langage courant tombé dans un « bon sens commun acquitté ».

Le terme d’adaptation en est un exemple intéressant. Il fait écho au nombre d’enfants inscrits, de professionnels disponibles en fonction des capacités d’accueil, tout en s’assurant de respecter les besoins des familles et des enfants. Un ensemble de généralités rassurantes qui donnent la tonalité à plusieurs documents officiels validés, estampillés, éloignés parfois des principes de réalité. Pourtant, l’adaptation reliée au terme de familiarisation ouvre sur d’autres sens, plus précis semant le doute parfois sur les protocoles annoncés. Le passage de ces mots dans les pratiques professionnelles, au cœur de la réalité du quotidien donne alors d’autres sens et ouvre sur d’autres possibles.

Beaucoup de mots « usuels, professionnels » sont intégrés dans le langage courant, avec cette conviction collective que tout le monde parle bien des mêmes choses…Sans forcément avoir pris le temps de les définir entre professionnels.

À partir d’une définition générale, l’appropriation de ce mot et de sa définition semblent acquis, mais prenons-nous le temps de poser ces mots pour en comprendre leurs multiples sens ?

Comment les comprenons-nous et les mettons-nous en pratique ? Comprenons-nous les mêmes choses au sein d’une équipe ? Avons-nous pris le temps d’en discuter pour que nos pratiques s’inscrivent dans une cohérence intellectuelle et concrète ?

Nos connaissances, nos compréhensions, nos sensibilités vont sans aucun doute orienter nos pratiques professionnelles jusqu’à fonder nos certitudes, nos convictions, mais aussi nos doutes ou nos choix.

Ainsi, chaque mot professionnel met en lumière ce quotidien si complexe de tout lieu d’accueil de la petite enfance, qu’il s’agisse du domicile de l’assistante maternelle, de structures collectives, de lieux d’accueil enfants-parents.

 

Un jargon professionnel reflet de notre histoire

Les mots soulignent également de réelles différences de perception et de conceptualisation des pratiques professionnelles et notre histoire de l’éducation possède un héritage très intéressant. Le mot accueil en est un exemple. Il ne faisait pas partie du langage professionnel dans les années 1960, parce qu’il s’agissait davantage de garde d’enfant. L’adaptation n’y avait pas sa place, tout comme le libre choix ou la notion de rythme. Les pratiques professionnelles étaient davantage construites sur des repères hygiénistes qui se sont progressivement tournées vers les besoins spécifiques du petit enfant. Tout comme le mot parentalité apparu principalement dans les années 2000 pour donner une place reconnue à chacun des 2 parents dans la complexité de leur histoire et de leurs expressions.

Le langage professionnel change, s’adapte à son époque, aux effets de courants pluridisciplinaires et interdisciplinaires. Les mots semblent se préciser, donner de la hauteur à de nombreuses réflexions professionnelles toujours en mouvement dans une soif de compréhension et de maitrise. Ce jargon professionnel suit également les courants des réseaux sociaux, des médias, des volontés visibles et invisibles de notre temps, imposé parfois par des règlementations, des choix institutionnels, pédagogiques ou même politiques. L’histoire de l’éducation possède un patrimoine linguistique où philosophes, poètes, penseurs se sont exprimés laissant de magnifiques textes dans lesquels les mots, par leur justesse et leur éloquence, ont su traverser le temps. Michel de Montaigne, écrivain, philosophe français du XVIème siècle écrivait déjà : « Les enfants ne sont pas des vases que l’on remplit, mais des feux que l’on allume ». Prémices des Neurosciences !

Ainsi, notre vision de l’éducation se forge à travers des interdisciplinarités que chaque époque construit selon ses connaissances. Notre vocabulaire se précise, devient parfois plus scientifique, plus défini selon le code ou le choix d’une discipline. La pédagogie, la psychologie, les neurosciences, la biologie, pour ne citer que quelques-unes d’entre elles apportent leurs lots de mots et d’analyses qui, « tricotés » ensemble, forment le maillage de nos connaissances sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour mieux comprendre le développement de l’enfant.

Il important pour chaque professionnel de s’approprier ces mots, usuels, pour en comprendre leurs sens sans contre-sens, tout en restant prudent pour ne pas se laisser embarquer dans des terminologies à rallonges où « le dispositif collectif réflexif serait une construction identitaire importante dans la composante des compétences » (!)

Notre manière de nous exprimer, les mots que nous utilisons donnent de la valeur à nos métiers et construisent les fondements d’une reconnaissance pour ceux qui ne les connaissent pas.

Et vis-à-vis de l’enfant ?

Nos mots colorent notre présence

Lorsqu’un adulte parle à un enfant, il lui permet de construire cette interaction indispensable à toute relation. Le petit enfant peut ainsi comprendre la réciprocité, la reconnaissance et la puissance de la communication humaine.

Pour l’enfant, notre manière de nous exprimer est fondamentale. La justesse de notre vocabulaire, la structure de nos phrases, la tonalité, la rythmicité vont l’aider à comprendre une langue et lui permettre de reproduire sons , vocalises et mots Nous savons combien il est important de parler correctement aux enfants, d’utiliser un vocabulaire précis, des tournures de phrases bien construites pour que le tout petit apprenne à communiquer. Dire « bonjour », « s’il te plait », « merci », « au revoir » sont les bases d’une reconnaissance mutuelle indispensable pour construire toute relation. Le petit enfant est sensible à la précision avec laquelle l’adulte va entrer dans sa sphère personnelle, sa proximité que nous devons apprivoiser. Faute de temps, l’adulte peut parfois vite envahir l’enfant et le saouler de mots qu’il aura bien du mal à comprendre. Aussi, tout ce qui se lit, se chante, se parle avec et pour l’enfant s’inscrit dans une qualité de connaissances, fondements de ses propres apprentissages de la langue qu’il découvre.

Le tout-petit a besoin d’une parole précise, posée, sans artifice, premier fil de « soi » qui se tisseront tout au long de sa vie.

Une invitation à penser

Penser peut-être autrement notre vocabulaire (sans aucun jeu de mots !) afin de rester prudent sur la manière dont nous parlons aux tout-petits mais également entre adulte pour être bien certains de se comprendre. C’est nous offrir la chance de nous élever bien au-dessus des jugements et des nombreux contresens qui planent sur nos métiers.

C’est prendre de la hauteur pour inviter l’enfant à suivre un vent de liberté.

Nous en avons tous les talents pour le faire !

 

 

                                                                                 Christine Schuhl Juin 2024

 

 

 

 

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