Les risques de la polyvalence

Enoncer, dénoncer la violence sans la généraliser
20 septembre 2024

Les risques de la polyvalence

Aujourd’hui les rôles professionnels se confondent. Parce qu’il existe un manque crucial de professionnels sur le terrain, parce que la conscience professionnelle se tourne comme par évidence vers le besoin des tout-petits accueillis chaque jour en collectivité. Les fonctions et les missions se mélangent jusqu’à risquer d’en perdre leur crédibilité.

                

Lundi matin dans cet établissement accueillant quotidiennement jusqu’à 60 enfants. Les premiers coups de téléphone retentissent dès l’ouverture, à 7h30. Rachel, une auxiliaire de puériculture ne peut pas venir, clouée au lit par la grippe. Ludivine ne viendra pas non plus, son fils est malade. A ce jour, il manque également 3 professionnelles sur la collectivité. Le constat est amer, il est impossible d’ouvrir l’unité des bébés, il manque trop de professionnels. Bien plus il faudra composer sur la journée pour que tout puisse s’organiser au mieux et que les enfants ne pâtissent pas trop de ce manque d’adulte. Alors spontanément tout le monde met les bouchées doubles. On s’entraide en cuisine, on se donne un coup de main dans les temps les plus compliqués comme les repas ou le coucher des enfants. Les agents d’entretien viennent en renfort, les équipes de direction restent auprès des enfants et les équipes ne sont pas toujours à leur poste initial. Le principal reste l’accompagnement des enfants en veillant à ne pas trop fragiliser une sécurité affective en pleine construction. Pour les projets et les observations, chacun se dit qu’il y aura bien un calme propice à ces travaux après ces périodes interminables de manques et d’improvisations…
Et pendant ces temps où tout se construit au jour le jour, la polyvalence se redéfinit face aux imprévus et aux manques. Elle aurait pourtant du bon cette polyvalence, faisant rentrer sur le terrain des acteurs parfois trop éloignés. Une responsable petite enfance, installée d’habitude derrière sont bureau à organiser, coacher les professionnels dans leurs missions et leurs rôles, se voit en remplacement provisoire d’une directrice absente. Elle comprendra les contours d’un métier multifonctions entre administration et accompagnement des équipes, des familles, des enfants.
Cepen dant cette polyvalence imposée et incontournable brouille la place de chacun. Les rôles se confondent et dans ce tourbillon d’actions, la spécificité des formations se fondent dans un emploi du temps qui va vite… Trop vite, pour le professionnel et pour le petit enfant. Dans la représentation d’une journée, les professionnels disent ne pas avoir le temps, ni pour les enfants ni pour eux-mêmes. Ainsi la polyvalence fragilise ces moments si précieux pendant lesquels il est possible de se poser et d’être dans cet accompagnement qui demande tant de lenteur et de précision. La réflexion, l’ajustement ont besoin de temps. Un temps reconnu, ni pris à la dérobée, faute d’aider sa collègue, ni pris à contre cœur.
La pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité qui fondent nos métiers de la petite enfance sont de plus en plus brassées dans des exigences bien éloignées d’une réflexion psychopédagogique pourtant indispensable. Les « burn-out » sont alors une conséquence de cette polyvalence où les professionnels s’épuisent pour que rien ne manque au quotidien des tout-petits.
Toujours plus, toujours plus vite, toujours trouver un moyen pour pallier les , manquements… Mais jusqu’où, jusqu’à quand ?
Alors bien sûr nous ne mettrons jamais les enfants en danger mais poser le « jusqu’où je peux, jusqu’où je dois » comme réflexion collective et individuelle, pourrait permettre que ces polyvalences illimitées ne deviennent pas un nouveau profil de poste universel non déclaré !

 

Christine Schuhl Janvier 2025

 

 

 

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