Enoncer, dénoncer la violence sans la généraliser

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L’importance des mots… Sans jeu de mot
25 juin 2024

Enoncer, dénoncer la violence sans la généraliser

                

Énoncer, dénoncer la violence est un devoir mais il est tout aussi important de ne pas la généraliser au risque de faire violence à ces professionnels engagés et responsables. Sans désir de polémique, mais avec une véritable reconnaissance pour ces métiers de la petite enfance si malmenés, si peu reconnus, un pas de côté semble tout aussi important, comme par évidence…

Bien sûr les témoignages, les enquêtes, les constats montrent l’horreur de cette maltraitance que nous sommes nombreux à dénoncer, à combattre avec force et engagement. Bien sûr il faut juger, punir les responsables, accompagner ces enfants, ces familles et ces professionnels bienveillants qui ont eu le courage de dénoncer, d’alerter, de combattre ces actes et ces logiques inacceptables. Cependant, présenter au grand public la vision unique de la violence dans les crèches est une violence pour les professionnels de la petite qui œuvrent avec bienveillance au quotidien.

Les différents rapports de l’IGASS et les multiples rencontres inter professionnel ont permis, fort heureusement de mettre en lumière depuis plusieurs mois les dérives et les violences, au cœur des pratiques professionnelles dans certains établissements de la petite enfance. Le travail méticuleux d’auditions et d’observations sur le terrain et au-dehors du terrain n’a fait que confirmer les manques récurrents de moyens et de formation, ainsi que les rouages misanthropiques des systèmes institutionnels . Cependant, aujourd’hui certains médias et de nombreuses publications alertent sur des violences faites aux enfants sans garde-fou. L’alerte est certes donnée, mais qu’en est-il de tous les autres lieux d’accueil de la petite enfance où l’enfant est au cœur des préoccupations et où chacun pallie avec énergie aux manquements institutionnels ? Les professionnels sont de par ces jets d’infos scandales, étiquetés, stéréotypés dans un amalgame de témoignages, d’enquêtes, où la gravité des faits donnent une tonalité bien particulière aux métiers de la petite enfance, déjà en souffrance depuis de nombreuses années.

Ne pas nier la réalité tout en regardant les autres possibles

Bien sûr il y a tous ces dysfonctionnements, humains, institutionnels, politiques. Bien sûr des violences deviennent parfois cette réponse impensable affligée à cet enfant, à ce parent, à ce professionnel. Bien sûr les douces violences sont encore présentes mais combien de professionnels réfléchissent sur leurs pratiques, combien se remettent en question, combien aussi, se lancent dans de magnifiques projets malgré de multiples freins ?

Dénoncer la violence est une chose, la généraliser en est une autre.

L’actualité se gave de tout ce qui dysfonctionne. Les faits divers envahissent les journaux, les réseaux sociaux, si bien que certains parents, à peine remis de l’émotion de l’arrivée de leur enfant doutent et s’inquiètent à l’idée d’inscrire leur enfant dans une structure qui est pourtant bien une structure d’accueil et d’accompagnement.

L’image des crèches est depuis plusieurs années représentée par un amalgame de photos d’adorables bambins, jouant dans des décors colorés et remplis de jouets où les professionnels, en arrière-plan sont présentes et souriantes. Photo commerciale peut-être ou simple présentation sur une plaquette laissée à disposition du public. Derrière cette représentation, le grand public ignore peut-être l’investissement que les métiers de la petite enfance exigent, l’endurance, les difficultés que de devoir répondre aux besoins fondamentaux de ces tout-petits de moins de 3 ans dans des contextes collectifs ou au domicile des assistantes maternelles.

Les métiers de la petite enfance sont comparables au métier d’orfèvre, il exige patience et pratiques méticuleuses. Rien ne peut se faire sans prendre en considération chaque enfant, dans son unicité, avec précision, en temps réel. La majorité des professionnels le savent bien et relèvent ce défi au quotidien.

Dénoncer la violence est une urgence intemporelle. Il en va de soi de ne jamais la banaliser, de la repérer et de la punir, mais pouvons-nous sortir de ce regard posé sur ces métiers de la petite enfance dont la responsabilité est hors du commun ?

Combien de métiers construisent avec autant de force la société de demain ?

Combien de métiers prennent soin de ce tout-petit dont la disponibilité de l’adulte est vitale ?

Les soignants, les enseignants et bien d’autres métiers encore font partie de ces professions tout aussi malmenées, ignorées dans leur grandeur et leur puissance humaine.

Généraliser la violence est une violence pour tous les professionnels qui s’investissent au quotidien. Généraliser c’est ignorer les possibilités incroyables de bien des équipes et stéréotyper des métiers qui sont au cœur du vivant et de notre humanité.

Aujourd’hui la souffrance des métiers de la petite enfance n’est malheureusement pas entendue. Faute de moyens, de formation, de reconnaissance à leur juste valeur, les métiers de la petite enfance peinent à recruter et à obtenir les moyens nécessaires pour balayer ces stéréotypes où certain parlent de professionnels sans éducation, mal habillées (de quel droit pouvons-nous juger de la sorte !!), et violentes. Il y a urgence à donner un véritable statut à tous ces professionnels engagés dans l’accompagnement de l’enfant de moins de 3 ans.

La violence existe, c’est un fait, mais non une fatalité. Elle est la résultante de dérives politiques, économiques et éducatives. Un amalgame de manquements de reconnaissance et de valorisations. Il est important de voir ces violences, mais pouvons-nous aussi regarder cette bienveillance construite à la force des empathies partagées de professionnels qui croient en leur métiers et restent malgré la tourmente, passionnés par ces rencontres quotidiennes avec ces tout-petits, prêts à remettre peut-être en question des choix et des projets ?

Regardons en face les multiples moments incroyables de complicité et d’accompagnement de ces tout-petits qui pas à pas découvrent notre monde.

Alors même si aujourd’hui les faits de notre société font le « buzz » et que la nuance ne sera pas citée. Pourrions-nous faire un pas de côté et voir aussi ces vrais professionnels qui font battre le cœur de nos métiers et ceux de nos enfants !

 

                                                                                Christine Schuhl, septembre 2024

 

 

 

 

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