Comme si le plus obscur contrebalançait en permanence l’indispensable optimisme. « On » nous répète en boucle que notre planète est en explosion imminente, que notre santé est en péril menacée par de nouveaux virus, notre élan pour le travail n’est plus, notre culture générale est en dégringolade. Nous sommes inondés, envahis de nouvelles plus terribles les unes que les autres. Les médias, les réseaux, nous présentent en boucle ce monde qui ne tourne plus rond, encore faut-il qu’il ait eu un jour cette si particulière dynamique circulaire !… Nous serions donc tous responsables, prisonniers d’une vision de masse, où les valeurs marchandes prendraient le pas sur la valeur de l’humain.
Aujourd’hui, le citoyen est en immersion totale entre doutes et culpabilité. Le secteur social et médico-social se trouvant en première ligne de ce poids déguisé en responsabilités et manque de compétence.
Et Pourtant…
Lorsque l’on pousse la portes des institutions, que l’on se retrouve sur ce que nous nommons « le terrain », beaucoup de choses se vivent, se partagent, de réfléchissent. Des projets incroyables se construisent, des initiatives dépassent les obstacles des organisations chaotiques, faute de professionnels ou de moyens. Les pratiques professionnelles gardent leurs caps, tournées vers le tout petit enfant accueilli en collectivité ou au domicile des assistantes maternelles, mais aussi vers ces enfants plus grands, ou encore vers chacune de ces personnes aux besoins spécifiques, jusqu’à la personne âgée, toutes dans ses besoins particuliers liés à son âge ou à ses possibilités. Au cœur de ces multiples relations, le professionnel tente de ne pas se perdre en rendant visible ce qu’il sait faire avec maitrise. Seulement voilà, dans le secteur social, ce qui se passe bien, comme un change pratiqué avec une réelle présence et une posture posée et encourageante, n’est pas visible.
Ce qui se passe bien est invisible
Seuls les problèmes, les erreurs sont visibles. Aussi les représentations collectives font focus sur les dysfonctionnements construisant une image bien fragile des métiers et des professionnels eux-mêmes.
Et pourtant, les pratiques professionnelles sont analysées, le sens de ce qui se met en place est souvent défini, ajusté, évalué. C’est ainsi que des instants de créativité, d’écoute, de collaboration voient le jour, malgré l’appauvrissement des moyens humains et matériels.
Les convictions et les stéréotypes parviennent à bouger et malgré leurs lots de colères tout à fait justifiés, des professionnels dépassent leurs doutes, leur écœurement et poursuivent inlassablement ce travail de terrain. Cet « essentiel » resté invisible.… Mais la vie est essentielle ! l’attention partagée est essentielle !
Il se passe bien des choses extraordinaires
Parce que depuis des années, les professionnels ont de véritables connaissances. Des connaissances pluridisciplinaires et interdisciplinaires construites sur les fondements indiscutables d’une bien-traitance définies par des générations d’experts qui ont éprouvé, énoncé, dénoncé et amorcé tout ce travail de réflexion sans jamais douter du potentiel des professionnels. L’essence même d’un savoir respectueux s’est élaboré au cœur du terrain.
Bien sûr il faut encore parfaire les connaissances, faire rentrer davantage d’apports théoriques dans ces métiers du social. Le grand cœur ne suffit pas pour accompagner au quotidien, plusieurs heures d’affilées, le chagrin du petit, la souffrance du malade ou les angoisses des adultes. Cependant, comment parvenir à prendre soin, à bâtir cette sécurité affective indispensable et vitale si le professionnel n’est pas lui-même dans un contexte sécurisant ?
Les doutes ralentissent les initiatives
Parce qu’il faut se justifier, rentrer dans une colonne financière, rendre des comptes, le professionnel hésite. Les doutes inhibent la spontanéité, troublent les initiatives. La confiance en soi devient fragile. Du coup, les routines envahissent le quotidien, parce qu’elles rendent plus timides les remises en question et l’envie de construire de véritables projets. Le « on a toujours fait comme ça » donne raison à ce quotidien bien rodé dans lequel professionnels et « usagers » rentrent. Les doutes s’estompent, les habitudes se déguisent en repères, les journées passent sans trop de pétillant…
La culpabilité stoppe les initiatives
Parce qu’il faut pouvoir prendre du temps, discuter, poser les choses pour parvenir à lever la culpabilité. Elle n’est jamais sans conséquence. Elle est un moyen extrêmement violent pour stopper l’initiative, rompre l’équilibre et rendre fragile cette sécurité affective si précieuse pour tout être humain. Elle renvoie tout individu, quelque soit son âge, à un devoir manqué envers l’autre entrainant une lourde responsabilité dans ce manquement.
Balloté entre doutes et culpabilité, le professionnel se retrouve devoir se placer à contresens de ces états de fait pour parvenir à s’accrocher à ses valeurs et à ses convictions les plus profondes.
Un chemin difficile… Et pourtant…
Même si certains talents se retrouvent happés dans un système qui leur échappent, même si certains s’approprient le talent des autres, même si le talent se veut bien souvent réservé à certains… Osons croire sans fausse modestie que nous avons tous du talent !
C’est une réalité qui peut embêter bien des personnes. Pourtant ces talents sont bien réels, ils ont une force puisée dans un élan vital incroyable, qui lève les doutes et les culpabilités.
Oui, nous avons du talent, osons y croire, osons le confirmer !
Christine Schuhl – Septembre 2023